Tentative de définition du coemploi.
14/06/2016N. BORTKO

Plusieurs sociétés travaillent désormais pour une même maison mère, donneuse d’ordres. Il s’agit du groupe de sociétés qui peut se définir comme « un ensemble d'entreprises appartenant à des personnes physiques ou morales juridiquement distinctes et indépendantes les unes des autres dont l'activité est contrôlées par une institution dite société-mère, qui par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs dirigeants, détient sur chacune d'elles un certain pouvoir financier, de gestion et d'administration économique[1]. »

Ce groupe de sociétés est composée de filiales qui sont des « entreprises dont 50% du capital ont été formé par des apports réalisés par une autre société dite société mère qui en assure généralement la direction, l'administration et le contrôle par l'intermédiaire d'une ou de plusieurs personnes, administrateurs ou gérants qu'elle a désignés[2]

Ces filiales et la société mère forment un ensemble qui s’imbrique les unes avec les autres en nouant des liens privilégiés entre elles. Mais cette imbrication empêche souvent une détermination précise des véritables dirigeants.

Les problèmes surgissent à partir du moment où le salarié a le sentiment de travailler pour le groupe et non pas pour l’entreprise dont le nom figure sur son bulletin de paye. Un tel sentiment peut naître suite à la centralisation de l’embauche, de la gestion du personnel, travail en commun, mobilité à l’intérieur du groupe, négociation de groupe...

Afin d’obtenir une indemnisation sans recourir aux AGS, le juge pourra tenter d’établir une situation de coemploi, situation qui consiste « à admettre qu’un salarié n’a pas qu’un seul, mais plusieurs débiteurs des obligations découlant du Code du travail à son égard[3]. »

Si la qualité de co-employeur ne découle pas forcément de la seule intégration au sein d'un groupe de sociétés, la jurisprudence récente en la matière invite à porter une attention particulière aux relations entretenues entre les sociétés-mères et leurs filiales notamment lorsqu'une mise en liquidation judiciaire de ces dernières est envisagée. C’est ce qui nous intéresse tout particulièrement.

En effet, le chef d’entreprise n’est pas le seul à « tirer la charrue », les salariés permettent à la charrue d’avancer. Sans eux, il n’y aurait aucune activité. Sans eux, le chef d’entreprise n’a aucune raison d’être. Et, dans certains cas, il va falloir gommer cette impression qu’ont parfois les salariés de travailler pour le groupe et non pas pour la société avec laquelle ils sont tenus contractuellement. Il va falloir identifier un débiteur solvable et lui faire porter la responsabilité des difficultés sur une entreprise considérée comme étant le véritable donneur d’ordre.

Néanmoins, il devient courant que l’indépendance juridique des sociétés ne résiste pas à l’examen des faits. Le salarié demandeur peut alors fournir des éléments de nature à faire condamner d’autres sociétés du groupe en qualité de coemployeurs ou faire reconnaître la qualité d’employeur à une société autre que celle qui a signé son contrat de travail. Il s’agit du coemploi.

Cette notion « permet au salarié de diriger ses demandes contre un autre employeur que celui avec lequel il a contracté[4]. » Le coemploi vient des termes « co » et « emploi ». Pour mieux comprendre ce concept, il convient de comprendre son origine et de les définir individuellement.

Le coemploi est construit à partir du préfix « co » et du mot « emploi. »

Le préfix est « un élément qui se place devant le radical d'un mot, donnant ainsi naissance à un nouveau mot, ayant une signification différente bien qu’habituellement proche du mot originel[5]. » Le préfix « co » se prête particulièrement à la création d’un néologisme, d’un nouveau mot, d’une nouvelle idée, d’un nouveau concept.

Ce préfixe d’origine latine, cum, qui signifie avec, signifie dans la composition de où il indique l’association, la participation, la simultanéité[6], la collaboration, l'union. L’idée de partage des responsabilités et de condition commune[7] se reflète à travers ce préfix.

Etant donné l’orthographe utilisée par les greffiers et la doctrine « co-emploi » ou « coemploi », il va falloir trancher et constater que, en principe, ce préfix se construit sans trait d’union qui est jugé trop superflu.  Il conviendra par la suite d’écrire le coemploi sans trait d’union.

L’emploi est quant à lui défini comme un « contrat passé entre un employeur et un salarié selon lequel celui-ci réalise un travail rémunéré[8]. » Il « est assimilable à un contrat passé entre deux parties, l’employeur et le salarié, pour la réalisation d’un travail contre une rémunération, par l’exercice d'une profession, ou bien pour un travailleur indépendant, la réalisation de multiples contrats implicites ou explicites dans le cadre de l’exercice d’une profession. Une personne bénévole n'occupe pas un emploi au sens strict du terme[9]. »

Ainsi, ce concept de coemploi aurait été élaboré par la jurisprudence afin d’imputer tout ou partie des obligations et responsabilité d’employeur à une personne morale autre que celle qui a signé le contrat de travail, qui rémunère le salarié, qui dirige et contrôle son travail (employeur… nominal ? direct ?)[10].

Ce concept est de plus en plus utilisé dans les contentieux des licenciements collectifs lorsque l’employeur est une société la filiale défaillante.



[1] Dictionnaire juridique de Serge BRAUDO

[2] http://www.juritravail.com/lexique/Filiale

[3] Droit & Expertise, « les groupes doivent-ils trembler devant la notion de coemploi ? », Jérôme CORDIER, counsel en charge du département Droit social chez Linklaters, 30 novembre 2011, p.10

[4] Les cahiers Lamy du CE, 18 décembre 2013, N° 132

[5] http://grammaire.cordial-enligne.fr/manuels/PREFIXE.htm

[6] Définition issue du dictionnaire Larousse

[7] http://www.fauxamis.fr/2011/04/20/prefixe-co/

[8] http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/emploi/

[9] Définition issue du site Wikipédia

[10] Compte-rendu de la réunion du 10 mars 2014 de la Commission Social du barreau de Paris par Henri-José Legrand et Pierre-Henri d’Ornano, avocats à la Cour

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